L’ingénieur civil dans la réalisation des ouvrages

Catégories

INGENIEUR EXPERT DE CONCEPTION

Calixte DEDJINOU


« Il assure la durabilité et limite les risques »

Pour un projet de construction, est-il besoin de faire appel à un ingénieur civil ? Dans la pensée
collective, ce n’est qu’une option. Et parmi ceux qui en connaissent l’importance, certains, craignant
des dépenses supplémentaires, préfèrent se passer de l’ingénieur, avec tous les risques que cela
comporte. Connu pour son expertise, avec 28 ans d’expérience, M. Calixte DEDJINOU, ingénieur de
conception en génie civil, directeur général du bureau Tecknicart Ingénieurs-Conseils, nous explique
le rôle et l’importance de l’ingénieur dans la réalisation des ouvrages

 

Qui peut-on appeler ingénieur civil ?

Calixte DEDJINOU : Un ingénieur civil est un cadre technicien, diplômé en génie civil, qui fait la conception, le suivi, l’entretien et la réhabilitation des ouvrages et infrastructures. Il ne suffit pas d’avoir des notions de génie civil pour se faire appeler ingénieur civil. C’est un métier qui requiert, une qualification donnée, obtenue après une formation spécialisée

Pour quels types de travaux faut-il faire recours à l’ingénieur civil ?

Calixte DEDJINOU : En principe, il faut impliquer l’ingénieur dans la conception, la mise en œuvre et l’entretien de tout ouvrage, quel qu’en soit le type. Bâtiments et édifices, géotechnique et mines, constructions industrielles et équipements industriels, infrastructures de transport et infrastructures hydrauliques, aménagements et équipements hydroagricoles, environnement, assainissement et développement durable…, l’ingénieur intervient dans tous ces domaines. Par exemple, si une brasserie veut réaliser un silo pour le stockage de la bière, elle a besoin d’un ingénieur civil et d’un ingénieur mécanique. Car la matière à stocker va créer une charge et l’ouvrage risque d’être déstabilisé s’il n’est pas bien étudié et positionné de sorte que la pression à l’intérieur ne dépasse le seuil. Vous vous rappelez certainement l’explosion d’une société de brasserie au Bénin dans les années 89 ! L’ingénieur aide justement à installer ce genre d’ouvrage en tenant compte de la pression, de manière à éviter les risques. L’ingénieur civil peut être sollicité dans les projets d’aménagement, de construction, de réhabilitation et même de démolition de tout ouvrage, bâtiment ou infrastructure.

De façon pratique, en quoi consiste l’intervention de l’ingénieur civil dans la réalisation d’un ouvrage ?

Calixte DEDJINOU : L’intervention de l’ingénieur se décline sur chacune des phases du projet : la conception, la mise en œuvre et l’entretien. A la phase de la conception, l’ingénieur étudie la faisabilité de l’ouvrage, les conditions du chantier, la sollicitation de l’ouvrage et le milieu dans lequel il sera implanté. Selon les cas, il conduit diverses études à savoir les études préliminaires et de préfaisabilité, les études de faisabilité, les études d’avant-projet sommaire, les études d’avant-projet détaillé, les études d’exécution, les plans, les maquettes et devis… L’ingénieur va ensuite associer la sollicitation (destination de l’ouvrage) et les contraintes du milieu (caractéristiques du chantier suite aux études menées) pour réaliser le plan d’exécution afin de concevoir un ouvrage durable qui puisse pleinement servir à son propriétaire. Mais il ne suffit pas de concevoir. Il faut pouvoir réaliser ce qui a été conçu et être prêt à intervenir lorsqu’il y a un écart entre les prévisions et les réalités du terrain. C’est pourquoi on dit que le terrain commande. Dans le suivi de la mise en œuvre, L’Interview 6 le rôle de l’ingénieur est de faire un contrôle et un suivi techniques durant les travaux afin de réaliser au maximum ce qui était prévu et, en cas de changement, d’adapter les prévisions techniques aux réalités du terrain. L’ingénieur collabore avec d’autres techniciens supérieurs qui lui aussi remontent leurs difficultés ou situations nouvelles. Par exemple, vous voulez réaliser une fondation et pendant les travaux, vous tombez sur un trou béant que les essais géotechniques n’avaient pas révélé. Vous savez que les essais géotechniques ne se font pas en continu. On choisit des points. En identifiant les points, vos essais peuvent avoir justement enjambé le trou. Et c’est en voulant poser la fondation que vous creusez et vous tombez sur une fosse d’ordures. Il va falloir que l’ingénieur réadapte le projet aux réalités du terrain sans agir sur la durabilité de l’ouvrage.

Qu’en-est-il du rôle de l’ingénieur dans l’entretien de l’ouvrage ?

Calixte DEDJINOU : L’ingénieur doit être sollicité dans l’entretien des infrastructures, qu’il s’agisse de routes, de ponts, de bâtiments… Après la réalisation de l’ouvrage, l’ingénieur donne généralement des conseils sur comment entretenir : « Prendre soin des portes ; ne pas laisser des herbes pousser sur la dalle ; ne pas stocker sur la dalle le sable restant après les travaux… ». Ces conseils ne sont pas anodins ! Malheureusement certains les banalisent et endommagent l’ouvrage. Vous construisez votre maison et comme il reste un peu de sable, vous stockez sur la dalle, loin des regards, toujours dans la logique de ne pas gaspiller. Mais le mal, c’est que, vous n’avez peut-être pas eu des ressources pour faire l’étanchéité, alors que le sable stocké sur la dalle, va devenir humide. La dalle est très vite affectée et les murs absorbent l’humidité. Après, on s’étonne qu’il y ait de l’humidité dans les chambres et, quelques années après, ce sont les fissures qui commencent à apparaître. On rappelle alors l’ingénieur pour jouer le sapeurpompier alors qu’il aurait juste fallu suivre les conseils. Certains pensent qu’en faisant la dalle, ils sont à l’abri de toutes intempéries : plus de tôles percées ni de tuiles fissurées, pas de bruit sur le toit… J’en profite pour dire à tous que la dalle, en elle-même, n’est pas une structure étanche. C’est comme un filet à mailles serrées et l’eau finit toujours par s’infiltrer. La chappe (couche sous forme de pente pour favoriser l’écoulement de l’eau) ne suffit pas pour protéger la dalle. C’est l’étanchéité qui protège la dalle. Il faut faire l’étanchéité même en dessous des douches qui sont à l’étage pour protéger les pièces qui sont sous ces douches. Les carreaux dans la douche n’assurent pas l’étanchéité. Et ce n’est pas tout ! Pour ne pas endurer en soirée, toute la chaleur absorbée par la dalle en journée, il faut faire aussi l’isolation thermique pour diminuer le flux de rayons solaires qui surchauffe la dalle. Il est vrai que l’étanchéité et l’isolation thermique paraissent onéreux. Mais quand on n’a pas de ressources pour protéger sa dalle, il vaut mieux faire une toiture légère. Et pour notre contexte, la toiture barque allure est relativement préférable. Elle résiste mieux aux objets lancés ici et là sur le toit, contrairement aux tôles et tuiles qui peuvent être endommagées, soit parce qu’un enfant indélicat a lancé une pierre ou parce que le charpentier, lui-même, en voulant réparer, a fait preuve d’imprudence.

 

Certains estiment que faire appel à un ingénieur civil rend le projet plus cher. Que leur répondez-vous ?

Calixte DEDJINOU : Au contraire, si tu n’as pas d’argent et que tu veux construire quelque chose de solide et de durable, va t’associer les conseils d’un technicien. Si tu penses que tu es en train d’économiser en te passant du technicien, c’est faux. Vous voulez faire des poteaux par exemple et pour l’alliage, vous confiez la tâche à un ferrailleur amateur. Il se fie à ce que son patron faisait, or il ne connait pas les réalités de votre chantier pour s’adapter. Il va disposer les fers à sa façon et même s’il utilise la quantité de fer adéquate pour ce genre de travail, il n’obtiendra pas le même résultat parce que les réalités ont changé et lui, il ne maîtrise pas les spécificités du terrain afin de revoir le positionnement des fers. Le travail est mal fait. C’est cela le vrai gaspillage. Or l’ingénieur aurait conseillé la conduite à tenir, compte tenu des réalités. Et dans la pratique, il y a beaucoup de travaux pour lesquels, faute de techniciens, les ouvriers utilisent abusivement les matériaux là où on n’en a pas besoin. Je voudrais que les gens comprennent ceci : quand on décide de construire, même quand on n’a pas beaucoup de moyens, il est toujours mieux d’associer un ingénieur. Il assure la durabilité et limite les risques et dégâts.

Quelles sont les difficultés auxquelles les ingénieurs civils sont généralement confrontés dans l’exercice de leur métier ?

Calixte DEDJINOU : La grande difficulté de l’ingénieur mais qui est également son défi, c’est de réaliser l’ouvrage en s’adaptant à certaines réalités complexes ou à certains paramètres sensibles. Quand le paramètre se révèle lors de la mise en œuvre, on peut encore corriger. Mais quand c’est dans l’exploitation qu’il se révèle, c’est la catastrophe ! Et c’est votre réputation qui est en jeu. Supposons que vous n’avez pas pu détecter le trou béant que j’ai évoqué plus haut, que vous faites le bitume sur cet axe et dès l’exploitation, il y a un grand effondrement de la chaussée. C’est grave ! C’est pourquoi notre métier exige de la rigueur dans les études. L’autre problème que nous avons au Bénin, c’est la formation de la main-d’œuvre. Quand la main d’œuvre est compétente, il y a moins d’erreurs dans la réalisation des ouvrages. L’ingénieur n’a pas besoin d’être à la trousse de chaque ouvrier pour s’assurer de ce qu’il suit bien les consignes. En fait, quand ils ne sont pas professionnels et qu’on leur donne des consignes simples comme l’arrosage régulier ou le positionnement adéquat des briques…, certains ouvriers négligent et ils font comme ils veulent, parce qu’ils n’en connaissent pas l’utilité. Plus tard, on constate des malfaçons, des fissures. C’est l’ingénieur qui est accusé dans cette situation. Si les ouvriers sont négligents, cela se ressent sur le résultat. Par contre, les ouvriers professionnels formés dans les lycées en maçonnerie, électricité, plomberie pour le niveau Cap (Certificat d’aptitude professionnel) ont l’aptitude qu’il faut et comprennent ce qu’ils font. Malheureusement ils veulent tous devenir ingénieurs. Or les sciences fondamentales sont diluées au lycée parce qu’on oriente les lycéens vers la pratique afin qu’ils soient aptes à l’emploi. C’est bon d’avoir de l’ambition mais il faut bien faire les choses et laisser chacun dans son rôle sinon le problème de main d’œuvre professionnelle va demeurer. C’est comme si tous les infirmiers devenaient chirurgiens sans suivre toute la formation qu’il faut. Cela met en péril les patients mais crée aussi un problème de main d’œuvre.

Des propositions pour une meilleure organisation du secteur ?

Calixte DEDJINOU : J’espère que la politique de construction des lycées actuellement annoncée, va intégrer cette réalité et que les parents vont accompagner la dynamique pour que nous ayons une main d’œuvre experte avec de véritables chefs maçons, chefs électriciens, chefs plombiers… Par ailleurs, nous appelons de tous nos vœux, l’opérationnalisation de l’Ordre national des ingénieurs civils du Bénin (Onic) et la mise en place du tableau de l’ordre. Le cadre réglementaire est déjà prévu avec le décret N°2021-300 du 9 juin 2021 portant organisation de la profession d’ingénieur et d’ingénieur-conseil et instituant l’Ordre national des ingénieurs civils en République du Bénin. Ce décret fixe l’organisation, les conditions et modalités d’exercice de la profession d’ingénieur civil au Bénin. Mais dans les faits, le décret n’est pas appliqué, parce que le tableau de l’ordre n’a pas encore été élaboré. La tâche est complexe au regard de la multiplicité des acteurs, et demande du temps. Mais dès que nous y parviendrons, le secteur sera assaini. Chacun pourra exercer en toute légitimité et ceux qui s’improvisent ingénieurs devront très vite se raviser.

Que diriez-vous à un jeune qui souhaite devenir ingénieur ?

Calixte DEDJINOU : S’il a les compétences basiques et l’engouement qu’il faut, il peut se faire former au Bénin et devenir ingénieur. Je lui dirai que le génie civil est un travail passionnant et rigoureux. Mais il aurait d’abord fallu que l’intéressé en ait les capacités. Parce que le génie civil, c’est une bonne dose de sciences fondamentales (Mathématiques, Physiques, Chimie), avant la spécialisation. Pour faire l’ingénierie et s’en sortir, il faut avoir cette base et avoir un esprit vif. Car l’ingénieur est appelé à concilier la réalité du terrain et ses connaissances théoriques pour concevoir un ouvrage durable. Si un jeune veut faire le génie civil, l’idéal est de faire un Baccalauréat scientifique. Mais si malgré un cursus littéraire, l’intéressé a les capacités de se réorienter et de se renforcer dans les sciences fondamentales, pourquoi pas ! Il devra fournir plus d’effort alors. L’on a vu par le passé des personnes qui ont fait le Bac A, qui se sont réorientées et sont devenues de grands médecins, de grands cardiologues. Après le Bac, l’intéressé peut faire le cycle direct dans une école spécialisée. C’est un cycle de cinq ans. Mais il y a aussi des écoles qui font le cycle préparatoire qui dure généralement deux ans. Puis, le postulant intègre une école spécialisée pour poursuivre le cursus. C’est une formation exigeante mais il suffit d’y mettre du sérieux et de bien réinvestir les acquis antérieurs. Bon vent à qui veut rejoindre ce métier !

Partager :
Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles similaires

Le Cadastre national

JURISTE EXPERT FONCIER AGRÉÉ Xavier Zola Le foncier et l’immobilier au Bénin sont des domaines très sensibles au regard des

Lire plus