JURISTE EXPERT FONCIER AGRÉÉ
Xavier Zola
Le foncier et l’immobilier au Bénin sont des domaines très sensibles au regard des risques liés aux transactions, à l’insécurité foncière et à la malhonnêteté de certains acteurs. Pour un meilleur référencement des données parcellaires, le Bénin a fait l’option de mettre en place le cadastre national. Que comprendre du cadastre ? Quelle est sa portée et comment entrevoir son impact sur les investissements dans le foncier et l’immobilier. Le juriste expert foncier agréé, Xavier Zola, en parle dans cette interview.
Journaliste : Le cadastre, qu’est-ce que cela veut dire ?
Xavier Zola : L’article 7 de la loi portant Code foncier et domanial en République du Bénin définit le cadastre comme « un ensemble constitué de documents cartographique et littéral à l’échelle nationale ou locale, comportant, le premier des informations graphiques, le second des renseignements attachés, relatifs aux parcelles de propriété individuelle ». Et le législateur poursuit : « Aux termes du présent code, le cadastre s’entend comme un ensemble technique des outils d’identification, d’enregistrement et de description des terres ou une représentation cartographique de l’ensemble du territoire national sur une base communale et selon sa division en parcelles de propriétés » ? Mais pour faire simple et espérer que tout le monde puisse comprendre, je dirai que le cadastre, dans le contexte actuel, permet d’identifier, d’enregistrer ou de décrire les terres sur l’ensemble du territoire national. Il renvoie à un système national d’informations foncières. Il s’agit notamment des informations sur chaque parcelle qu’elle soit bâtie ou non, dans l’ensemble du pays. Le cadastre s’entrevoit à deux niveaux : le plan et les informations. Réaliser le cadastre national revient à faire le plan parcellaire à l’échelle nationale. Sur un plan cadastral, il y a les limites administratives; les limites de propriétés; les bâtiments ; les éléments structurants tels les cours d’eau, les voies de communication… Réaliser le cadastre c’est aussi disposer du registre cadastral qui contient l’identifiant de chaque parcelle ; l’identité du détenteur ou des détenteurs de droits réels sur la parcelle ; les caractéristiques géométriques de la parcelle et sa configuration… Parlant d’identifiant de chaque parcelle, le Code foncier et domanial parle du numéro unique parcellaire. C’est comme ce qui se fait aujourd’hui au niveau de l’état civil avec l’Anip, où chacun a un numéro personnel d’identification.
De la même façon, chaque parcelle aura un numéro unique d’identification. On peut donc dire que le cadastre est l’état civil de la propriété foncière. Tel le Registre national des personnes physiques, le Cadastre est une base de données qui recense toute la matière foncière et domaniale. On pourra alors identifier chaque parcelle avec son propriétaire et toutes les informations qui sont liées à la parcelle
Comment l’opération d’enregistrement des parcelles se déroule-t-elle ?
Xavier Zola : Vous aurez compris que d’abord, il y a la phase de collecte de données. Il y a des agents qui sont envoyés sur le terrain pour prendre les coordonnées des parcelles, les limitrophes. Cela se fait de manière contradictoire et consensuelle. C’est pourquoi on demande aux présumés propriétaires de répondre présent pour qu’en L’Interview 6 7 ce qui concerne les parcelles voisines, les uns et les autres puissent s’entendre sur les limites. Les équipes tiennent compte de tout cela dans le recensement des informations parcellaires. Puis c’est la phase d’affichage qui suit. Les intéressés pourront consulter les affiches pour relever s’il y a des erreurs à rectifier, des contestations ou observations à faire. Au terme, quand il n’y a pas de problème quant aux coordonnées d’une parcelle, la parcelle est enregistrée comme tel. Mais là où il y a des problèmes ou des contestations, cela est retracé de telle sorte qu’on sait que telle parcelle à laquelle tel numéro est attribué connait telle situation et les protagonistes sont invités à la résolution de ladite situation selon les dispositions qui encadrent le règlement des conflits en matière foncière et domaniale.
C’est ce qui va émaner du règlement qui sera intégré au cadastre pour servir d’information crédible. L’opération ne s’est pas encore étendue à tout le territoire. Pour le moment, il y a une douzaine de communes et au niveau de ces communes, il n’y qu’une vingtaine d’arrondissements sur les 546 arrondissements du territoire. À Cotonou par exemple, toute la ville n’est pas encore prise en compte. L’opération demande beaucoup de ressources. C’est pourquoi l’Agence nationale du domaine et du foncier mobilise les partenaires techniques et financiers autour du projet. Pour ceux qui se retrouvent dans les périmètres pris en compte, en principe les agents sont allés partout ! Là où ils n’ont trouvé personne ; soit ils ont laissé des numéros à joindre ou ils ont fait des mentions sur les portes ! En général, chaque administré peut se rapprocher déjà de son chef quartier pour connaitre la conduite à tenir. Il y a même des localités où l’affichage se déroule en ce moment même !
Un cas pratique : Vous avez acheté une parcelle dont le vendeur n’a pas le titre foncier, mais vous y résidez depuis des années !
Comment votre parcelle est-elle prise en compte dans le cadastre ?
Xavier Zola : Pendant la collecte de données, le présumé propriétaire qui réside sur ladite parcelle doit pouvoir fournir toutes les informations aux agents. Il doit fournir les documents qui ont consacré l’acquisition de la parcelle à l’équipe et ces documents seront pris en compte comme tel. Car il y a une nomenclature des actes de propriété. Il y a le titre foncier qui est le seul acte de propriété définitif et inattaquable, mais il y a aussi les actes de présomption de propriété notamment l’attestation de recasement pour les zones loties et recasées, l’attestation de détention coutumière pour les zones non loties, puis les conventions de vente… L’intéressé doit pouvoir produire les actes dont ils disposent et il pourra être recensé normalement à partir de ces documents. Il sera mentionné qu’il ne dispose pas d’un titre de propriété, mais de telle catégorie d’actes. Cela ne l’empêche pas, s’il veut, de faire les formalités nécessaires pour demander ensuite un titre foncier. En outre, la procédure de recensement qui est une procédure contradictoire permet déjà de le faire figurer dans la base de données avec les informations précises qui renseignent sur le statut de sa parcelle.
Quels sont les impacts attendus de la mise en place du cadastre national ?
Xavier Zola : En premier, c’est la sécurisation du foncier. Actuellement, il n’y a pas encore cette référence unique capable de fournir des informations sur toute parcelle. Supposez que vous voulez acquérir un immeuble ! En l’absence d’un titre foncier, comment pouvez-vous être sûr de ce que votre interlocuteur est vraiment le propriétaire ? Comme cela est de coutume, il se peut que ce soit un immeuble en litige ou un immeuble pour lequel plusieurs personnes disposent d’une convention de vente et c’est quand vous avez remis l’argent à tel que tel autre survient, un frère, une sœur, un cousin ou un oncle qui réclame des droits sur le même immeuble. C’est un scénario familier ! En fait, le cadastre qui permet de mettre en place le système d’information foncière centralise toute la matière foncière pour la mettre à la disposition de tous. Cette plateforme pourra donc renseigner de façon précise et crédible sur L’Interview 7 la parcelle objet de la transaction. En principe, à partir d’un moment donné, tel qu’on le fait pour les e-services ou pour les requêtes par SMS sur les réseaux téléphoniques, il faudra juste composer un code avec le numéro unique de la parcelle, et l’on pourra avoir toutes les informations nécessaires sur la parcelle. L’enjeu est donc au niveau de la sécurité foncière et c’est à partir de là que se déclinent tous les autres avantages.
Quels sont ces avantages ?
Xavier Zola : Si vous avez l’information sur toutes les parcelles, cela facilite toutes les transactions: l’achat, la vente, la donation, l’héritage et l’échange. Vous avez sans doute déjà remarqué que les formalités normales pour les transactions foncières et immobilières sécurisées paraissent longues. Car il y a deux niveaux de contraintes. Il faut généralement régler la question du propriétaire de la parcelle avant de passer ensuite à la formalisation. Chez nous, le foncier n’est pas encore suffisamment sécurisé. Vous n’avez jamais la certitude que la parcelle appartient à tel ou tel. L’autre aspect c’est que tout le circuit économique est adossé au foncier et au patrimoine immobilier. Prenez l’exemple d’une grosse entreprise ou d’une firme industrielle qui veut établir son siège au Bénin, elle a besoin de certaines garanties lui permettant de s’installer! Sinon elle va s’installer un jour et le lendemain, d’autres soi-disant propriétaires du domaine vont surgir ! Un investisseur dans l’immobilier qui arrive, tant qu’il n’a pas la certitude que le foncier est sécurisé, il n’investira pas son argent ! Il y a plein d’exemples du genre dans le pays. C’est pourquoi pour ce qui se fait au niveau de la Zone économique spéciale de Glo-Djigbé, l’État lui-même a identifié, aménagé et sécurisé ce périmètre pour les mettre à la disposition des investisseurs qui ont la certitude que les terres sont sécurisées et par conséquent, leurs installations industrielles sont aussi en sécurité. De même, quand vous allez généralement à la banque et que vous voulez faire un prêt, vous avez besoin d’apporter des garanties et ces garanties sont en général le foncier.
Quand la banque n’est pas sûre de ce que le foncier en question est sécurisé, elle n’engage pas ses ressources ! Tout investissement massif est bien souvent fonction de la sécurité foncière ! Le cadastre apporte donc cette sécurité qui rassure les investisseurs et les institutions financières. Avec cet outil technique, tout acquéreur d’immeuble peut aussi savoir avec exactitude à qui appartient le bien. Un investisseur qui vient peut facilement avoir les informations fiables sur le statut du périmètre qu’on lui propose pour exploitation. Le cadastre facilite aussi les questions d’aménagement du territoire. Quand vous n’avez pas la bonne photographie du territoire, vous ne pouvez pas faire un bon aménagement sinon ce sera naviguer sans boussole. Mais quand vous avez une bonne cartographie, on arrive à faire des choix d’aménagement cohérents. Toutefois, faut-il le préciser, le cadastre aura aussi un impact sur la mobilisation des ressources fiscales et parafiscales aussi bien au niveau de l’État que des communes… Mais je préfère ne pas faire peur aux citoyens ! En tout, le cadastre est un outil stratégique de développement qui favorise la sécurisation foncière ; la sécurisation des investissements ; la réduction des conflits fonciers et leur résolution ; un meilleur aménagement du territoire…
Présentation de la plateforme cadastre.bj
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